
par Mounir Kilani
Alors que Pokrovsk tombe 1, l'Ukraine, pour soutenir ses troupes, revient à l'ère du charbon. L'Occident découvre, trop tard, que ses stratégies sophistiquées butent sur la réalité brutale de la logistique. Dans ce chaos, Trump improvise, Moscou progresse, et l'hégémonie occidentale révèle ses fissures.
L'image surréaliste : le progrès en panne de charbon
Dans le paysage dévasté de la guerre, une image résume à elle seule l'effondrement des certitudes occidentales : à Vinnytsia, une locomotive à vapeur du XIXe siècle tousse dans le brouillard, chargée de missiles modernes.
Cette relique ferroviaire, exhumée comme une ultime solution, transporte vers le front les illusions d'un monde qui croyait la technologie synonyme de victoire.
Au 8 novembre, de nouvelles frappes russes sur les hubs ferroviaires de Grebinka et Smila accentuent cette dépendance au charbon du XIXe siècle
Le contraste ne pourrait être plus cruel. Tandis que les états-majors de l'OTAN s'émerveillent devant leurs écrans tactiques dernier cri, leur allié ukrainien revient à l'âge du charbon.
Les milliards d'euros évaporés dans la bureaucratie bruxelloise n'auront finalement servi qu'à financer le musée le plus cynique de l'histoire militaire. Pokrovsk devient ainsi le théâtre d'une terrible métaphore : l'Occident, qui se rêvait en maître du cyberespace, découvre que la guerre reste une affaire de logistique - fût-elle archaïque.
Le progrès tant vanté n'aura été qu'un leurre. La réalité, elle, continue d'avancer au rythme saccadé d'une locomotive centenaire.
Trump sabre l'Ukraine, Poutine rit
Dans le grand théâtre absurde de la géopolitique, où les superpuissances manœuvrent des pions humains sur l'échiquier mondial, un coup inattendu a fait voler le plateau en éclats.
Donald Trump, le showman redevenu président, a livré une tirade qui réduirait un sketch de stand-up à l'insipidité d'un traité de stratégie.
Sans la moindre ambage, il a affirmé :
- «le conflit en Ukraine prendra fin dans quelques mois»
- «les États-Unis n'enverront pas de Tomahawks à Kiev»
- «Vladimir Poutine est un homme sérieux avec lequel il ne faut pas plaisanter»
Poursuivant sur sa lancée déroutante, il a ajouté un appel au «désarmement nucléaire» et la promesse que «la Russie pourrait gagner beaucoup d'argent» avec les États-Unis.
Un mélange de realpolitik de comptoir et de promo pour un futur deal immobilier, élevé au rang de doctrine étrangère.
Cette métamorphose de la Guerre froide en comédie burlesque a même fait perdre son flegme légendaire à Dmitri Peskov. Le porte-parole du Kremlin s'est contenté d'un haussement de sourcils télévisé digne d'un professeur dépassé par un élève insolent.
Mais cette pantalonnade diplomatique ne saurait être réduite à une simple gaffe. Elle marque l'effondrement audible d'une illusion : celle d'un Occident invincible, capable de saigner la Russie par sanctions et proxies interposés.
Pokrovsk, le verrou qui cède
Oubliez les cartes aseptisées des think tanks atlantistes. La réalité du Donbass, elle, n'a pas cette élégance.
Le site britannique UnHerd, rarement accusé de sympathies pro-russes, lance cet avertissement avec un flegme tout britannique :
«La perte de Pokrovsk serait une catastrophe pour l'Ukraine».
Dans son article du 4 novembre, «Losing Pokrovsk Would Be a Disaster for Ukraine», la rédaction explique que la chute de cette ville-clé briserait les lignes de ravitaillement du front est, ouvrant grande à Moscou la route de Kramatorsk et Sloviansk.
Pokrovsk n'est pas un simple point sur une carte ; c'est le verrou logistique qui, pour l'instant encore, retient l'avancée russe. Tant bien que mal.
Au 9 novembre, les forces russes infiltrent 70% de la ville via de nouvelles tactiques anti-drones, forçant un débat ukrainien sur un retrait salvateur
Pourtant, l'issue se joue moins dans la boue des tranchées que dans le confort chauffé des bureaux de Washington et de Kiev.
Trump, archétype du pragmatisme transactionnel, ne vise qu'à éviter «d'investir dans une cause perdue». S'il perçoit que Moscou va l'emporter - hypothèse que la situation militaire semble confirmer -, il retournera sa veste avec la grâce d'un trader sur le point de perdre un bonus.
Sur le terrain, justement, les avancées russes autour de Pokrovsk et l'encerclement méthodique des unités ukrainiennes ne sont plus de vagues rumeurs : c'est une réalité si tangible qu'elle force même les faucons de l'OTAN à reconsidérer leurs options avec un soudain esprit d'ouverture.
Symphonie pour un naufrage : le grand désarroi occidental
À Kiev, Zelensky, la moustache alourdie par la fatigue, jure que «la situation est sous contrôle».
Un contrôle qui ressemble étrangement à un effondrement au ralenti.
Il Fatto Quotidiano titre sans ambages :
«À Pokrovsk, un massacre se prépare, car Zelensky refuse d'évacuer les troupes».
Cette réalité brutale est confirmée par toute la presse occidentale :
- The Independent décrit «les forces russes en train de détruire systématiquement les unités encerclées»
- The Spectator enfonce le clou : «il sera bientôt trop tard pour une retraite sans pertes massives»
Même du côté ukrainien, un ancien ministre de la Défense - Reznikov, ou peut-être Deynega selon Hromadske - l'admet tacitement : «Nous avons pratiquement perdu Pokrovsk. Sans repli immédiat, nous perdrons nos meilleures unités».
Conséquence immédiate : le «plan de contre-offensive 2023-2024», naguère présenté comme une victoire imminente, s'est mué en un simple plan d'évacuation tardive.
Cette panique dépasse désormais l'Ukraine. À Bruxelles et dans les capitales, les masques tombent.
Le ministre belge de la Défense Theo Francken - qui promettait de «rayer Moscou de la carte» - se rétracte piteusement dans De Morgen.
Signe qui ne trompe pas : la Belgique, la France, l'Italie et la Slovaquie s'opposent désormais au transfert des actifs russes gelés.
Motif officiel : «risques juridiques» Motif réel : plus un euro pour Kiev.
Le coup de grâce vient du FMI. Selon Reuters, l'institution «doute de la solvabilité de l'Ukraine». Traduction : même les prêteurs les plus endurcis rechignent à financer un patient en soins palliatifs.
La dette ukrainienne, gonflée à 108,6% du PIB, promet trente-cinq ans de remboursements et 90,5 milliards d'intérêts - un fardeau que ni Washington ni Bruxelles ne semblent plus pressés de partager.
La Russie ironise, Trump improvise
À Moscou, on savoure la situation avec une retenue calculée.
Medvedev distille son humour noir habituel sur Telegram :
«Plus l'Occident dépense pour soutenir le régime des clowns sanglants de Kiev, plus la fin sera terrible pour eux».
Le 4 novembre, il présente les avancées russes autour de Pokrovsk comme une «leçon d'histoire» bien méritée pour ceux qui croyaient pouvoir «encercler la Russie avec des sanctions et des drones».
Dans un registre plus mesuré, Peskov se contente de rappeler que «la patience russe a des limites, mais nos objectifs restent inchangés».
Face à cette stratégie russe affûtée, Trump navigue en équilibriste.
Un jour, il brandit des sanctions «symboliques» pour apaiser les faucons républicains ; le lendemain, il évoque la paix, de nouveaux accords nucléaires et des partenariats «gagnant-gagnant» avec Moscou.
Ainsi, l'ancien président révèle sa véritable doctrine : un pragmatisme imprévisible, où la transaction commerciale prime sur la doctrine géopolitique.
Cette versatilité culmine dans sa propre communication :
«Je suis ravi de vous annoncer que les États-Unis possèdent l'ÉCONOMIE LA PLUS SOLIDE, la FRONTIÈRE LA PLUS SOLIDE, l'ARMÉE LA PLUS SOLIDE, les AMITIÉS LES PLUS SOLIDES et l'ESPRIT LE PLUS SOLIDE de toute nation où que ce soit - c'est l'Âge d'Or de l'Amérique !»
Reste à savoir si cet Âge d'Or brille de tous ses feux ou s'il n'est déjà plus que dorure sur fer-blanc.
Double échec : l'impasse ukrainienne et le mur chinois
Le désarroi stratégique de Trump et de son «Empire du chaos» s'enracine dans deux revers aussi lents qu'inexorables.
Premier échec, militaire : la Russie absorbe méthodiquement la Nouvelle-Russie. Ses avancées quotidiennes autour de Pokrovsk érodent le front ukrainien.
À Washington, les élites le savent : l'effondrement n'est qu'une question de temps. Dans quelques mois ? Peut-être l'an prochain. Mais il surviendra inéluctablement, comme l'hiver sibérien.
Second échec, économique : la guerre commerciale contre la Chine s'enlise.
Le récent sommet en Corée du Sud n'aura été qu'un répit. Pékin n'a pas cédé sur l'accès aux terres rares ni sur ses ambitions dans les semi-conducteurs.
Contraint, Trump a suspendu pour un an ses nouvelles taxes - présentant cette retraite tactique comme un «énorme succès». En réalité, il a cédé sur l'essentiel en échange de promesses sur le fentanyl et des achats de soja.
Le président chinois, impassible, a concédé l'accessoire en préservant ses intérêts stratégiques.
La «guerre commerciale» relancée en fanfare patine ainsi dès son lancement, révélant les limites d'un empire qui exporte désormais plus d'illusions que de produits.
Crépuscule d'un empire, aube d'un monde multipolaire
Pokrovsk n'est pas qu'une ville perdue : c'est le mirage occidental qui se dissipe. Les déclarations de Trump, complimentant Poutine et évoquant des accords post-conflit, confirment ce que les généraux ukrainiens murmurent dans l'ombre : la Russie est en train de l'emporter, patiemment, inexorablement.
L'Europe hésite, le FMI restreint son aide, et l'Ukraine, symbole déchu d'une victoire stratégique atlantiste, retrouve le rythme désuet de la vapeur. Derrière ce recul se profile un échec plus profond : celui d'un hubris impérial ayant cru remodeler le monde par les sanctions et les drones.
Moscou et Pékin jouent la longue partie - la Russie consolide son glacis, la Chine redéfinit les règles des échanges mondiaux. L'«Âge d'Or» de Trump n'est peut-être que le crépuscule orangé de l'hégémonie unipolaire.
Au 9 novembre, Pokrovsk s'éteint dans le froid. Entre 70% et 95% de la ville tombent sous contrôle russe, tandis que l'hiver sibérien scelle les derniers battements d'une résistance épuisée.
À Vinnytsia, les locomotives sifflent dans la brume, spectres d'un autre siècle. Leur écho sinistre rappelle que l'histoire, comme la Russie, sait jouer des prolongations.
Tant de vies perdues pour différer l'inévitable, tant d'illusions sacrifiées sur l'autel d'un orgueil occidental qui se dérobe. Dans la neige et la vapeur, Pokrovsk n'est plus une bataille, mais un crépuscule :
Celui d'un monde qui croyait pouvoir dominer le temps.
- sources : HistoryLegends, Alexandre Robert youtube